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La fille qui était partante pour une grande séance d’euthanasie collective

Parce que dans la vie quotidienne d’une blogueuse à la mode, il se passe toujours plein de trucs intéressants, en tout cas suffisamment intéressants pour qu’elle les partage avec un lectorat friand et même avide de ses listes de courses, de ses dates de règles et même de la fréquence de ses pauses-pipi…


Depuis quelques semaines, Loutre est bizarre.

Loutre a tendance à marcher en canard, avec les pieds en équerre.
Loutre est souvent dans la lune.
Loutre me parle d’accessoires à la con qu’il va falloir songer à acheter sans trop tarder.
Loutre pense au Petit tout le temps ou presque.

Le Petit…

Quand j’ai connu Loutre, je dois t’avouer qu’il n’y a pas eu d’ambiguïté entre nous:

(Loutre): – Écoute, la Chose, je t’aime, t’as déjà une môme, c’est pas un problème, je prends le paquet sans discuter et je te promets de ne jamais revenir là-dessus. Simplement, pour que ce soit bien clair: j’ai personnellement jamais eu d’envie parentale, je respecte l’appel du ventre ou de la quéquette reproductive chez autrui mais ça s’arrête là, tu piges? J’aime bien les gosses, mais pas trop longtemps et pas trop près non plus. Alors la tienne, ce sera peut-être un peu la mienne, mais pas de malentendu: on fait comme pour une bagnole, c’est ton nom qui est sur la carte grise, moi je me contente d’être l’autre conducteur, d’accord?
(Moi): – ….J’ai pas le permis.
(Loutre): – ….
(Moi): – Nan mais ça va, fais pas cette tête, on dirait que tu viens de te rendre compte que t’allais te pacser avec Sophie Favier…

Bon, en vrai, Loutre a passé plus de temps que moi chez le pédiatre quand ça gerbait de tous les côtés et que ça pustulait rouge de partout, et puis encore aujourd’hui, quand Phlegmon fait décrocher la mâchoire d’un adulte dès qu’elle ouvre son bec pour expliquer que les dinosaures étaient ovipares alors que les mammifères sont vivipares (« sauf l’ornithorynque », elle précise, « parce que lui, il est monotrème, demande à Lucien Bonaparte si c’est pas vrai »), ben c’est Loutre qui rougit de plaisir et qui bombe le torse, sauf quand la mâchoire de l’adulte en question se décroche parce que Phlegmon vient de demander si elle pouvait éviscérer le mignon petit chaton pour voir s’il avait l’appendice au même endroit qu’un humain (là, Loutre  prend un air grave et me désigne silencieusement du doigt, Judas et Charlotte Corday dans le même corps si tu veux mon avis).

Bref, Loutre ne voulait pas d’enfant et n’avait jamais envisagé la parentalité.
Mais depuis quelques jours, je te jure que j’ai l’impression de crécher dans la tanière d’un fauve sur le point de mettre bas (ou dans l’étable d’une vache sur le point de vêler, vu que Loutre vient du pays du camembert au lait cru).

(Loutre): – Attends, puisqu’on va se faire chier chez Carrefour, autant passer au rayon spécialisé…prendre deux ou trois jouets, et aussi quelque chose de doux, pour les nuits…
(Moi): – …Deux ou trois jouets?
(Loutre): – Ben oué…des trucs qui font pouêt-pouêt, quoi, comme Sophie la Girafe…
(Moi): – Sophie la Girafe, hein?
(Loutre): – ….
(Moi): – Rhhôôôôô le gouzi-gouzi, mais c’est krôôô meugnon, tout ça!
(Loutre): – ….
(Moi): – Houuuuuuu!
(Loutre): – Toi qui as vu Alien deux mille fois, je peux te dire que l’explosion thoracique de John Hurt, c’est de la pisse de chat, à côté de ce qui t’attend, salope.
(Eva Braun): – Mâââââooow?
(Loutre): – Toi, ta gueule.
(Moi): – Dis donc, tu commences pas à t’en prendre à cette chatte, hein, sinon c’est moi qui te la démonte, ta face!
(Eva Braun, après avoir dégueulé dans ma chaussure gauche): – Mââââoooow?
(Moi): – Toi, ta gueule!

C’est un peu le bordel, voilà. Y’a dans l’air une tension à couper au couteau, comme si l’atmosphère était saturée d’hormones au point de rendre tout le monde à moitié marteau, y compris Eva Braun, qui a adopté un rythme frénétique dans ses régurgitations quotidiennes (maintenant elle gerbe matin, midi et soir). Tout ça, donc, à cause du Petit. Ben oui. Le Petit est né avant-hier. On a reçu un mail. C’est pour ça que Loutre est dans tous ses états, qu’Eva Braun est passée du stade « pacifisme hypocrite pré-Anschluss  » à la phase « hystérie totale et Blitzkrieg »  et que j’ai assez envie de déménager mon pieu au sous-sol, ou de prendre un aller simple pour Tegucigalpa (sa basilique de la Vierge de Suyapa, son parc la Leona, son célèbre clochard-chanteur Manuel de la Plata del Monte de mi Fondillo en la Cama).

(Oui, vu comme ça on dirait un rat d’égout atteint de myxomatose, mais dans huit mois ce connard pèsera quarante kilos, et à côté, Cujo ressemblera à un chihuahua rachitique)

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La fille qui avait un jour tourné un film d’horreur

Parce que tout blog de fille qui se respecte ne manque jamais d’évoquer les joies ineffables de la maternité, de la première dent de la petite Léa aux régurgitations  verdâtres du merveilleux Alexandre

C’est un fait désormais bien établi, accepté par à peu près tout le monde (c’est-à-dire moi-même, myself, ma pomme et mézigue):
Le caméscope peut non seulement apparaître comme le symbole ultime de la beaufitude la plus crasse, mais également se transformer, si l’on n’y prend garde, en véritable arme de destruction massive.

A l’époque déjà relativement lointaine où je me suis découverte fertile et gravide, ma joie s’est exprimée de diverses façons. Citons les borborygmes féminins totalement incompréhensibles (« mmphheureuse », « argghhtrobien », « ouhhhputain »), le regard bovin et hagard de la femelle complètement centrée sur sa matrice et parfaitement indifférente aux rotations de la planète (ainsi qu’à l’actualité, à la météo, aux cours de la Bourse et à tout ce qui ne concerne pas directement les troubles urinaires et les petites nausées de la grossesse), ainsi que la débilité profonde qui s’installe insidieusement et se manifeste par des onomatopées primitives dès qu’un nourrisson apparaît sur l’écran du téléviseur ou sur la couverture d’un ridicule magazine féminin.
Ayant régressé au stade primaire de l’homo sapiens de sexe féminin sur le point de pondre, la future jeune maman exprime, le plus souvent, un désir nouveau et parfois en contradiction totale avec sa nature profonde: celui d’acquérir, de manière urgente, l’un de ces appareils bourrés de technologie japonaise à bas prix et qui font fureur dans les catalogues de vente par correspondance, j’ai nommé le caméscope numérique.
N’ayant point échappé à cette pathologie mentale lourdement handicapante provoquée par la gestation, je devins, il y a quelques années, l’heureuse propriétaire d’un tel appareil, qui se transforma rapidement en un prolongement technico-organique de mon petit corps enflé et boudiné, semblable à un troisième bras, à un troisième oeil, voire même à un deuxième cerveau (ce qui, me concernant, n’était somme toute pas un luxe).

Non seulement je me mis à filmer la moindre minute de ma merveilleuse grossesse, mais en plus, une fois le monstre enfin mis au monde (après des heures de dur labeur, que même une appendicectomie sans anesthésie c’est du flanc, en comparaison), je fus prise d’une véritable frénésie filmique, comme si, en laissant échapper le moindre moment de cette vie fraîchement démoulée, bavante et hurlante, je risquais d’en perdre le souvenir à jamais (parfois je  me demande où je vais chercher tout ça)


Après avoir gaspillé des kilomètres de bande pour saisir la moindre de mes varices gestationnelles, je me mis donc à traquer le plus petit vagissement, la plus insignifiante œillade de ma toute jeune progéniture, avec un acharnement et un enthousiasme qui frisaient la pathologie mentale caractérisée.
Or, dans mon hystérie maternelle quotidienne, il ne me vint bien sûr pas un seul instant à l’esprit que tout ce que je gravais consciencieusement sur disque allait, sauf tsunami imprévu ou séisme apocalyptique,  passer à la postérité sous forme de gigabits d’images animées confinant au pathétique.

Et comme il m’arrive, une fois environ tous les dix ans, d’éprouver ce qu’on peut appeler de la nostalgie pour ce qui fut et n’est plus, je me suis surprise, il y a quelques jours, à faire défiler sur l’écran de ma télévision la totalité des rushes autrefois engrangés et imprudemment stockés dans le ventre d’un super-ordinateur.

J’aurais bien évidemment mieux fait de choisir de me tirer une balle après avoir ingéré du cyanure tout en me mettant la tête dans le four.

Car enfin, que constate une femme plus ou moins politiquement éveillée, à quelques années de ce que l’on nomme pudiquement l’âge mûr, relativement bien dans ses baskets, équilibrée dans sa vie professionnelle et se considérant elle-même comme suffisamment adulte pour mener de front une vie de famille, une carrière et divers engagements associatifs?
Ce qu’elle voit, au moment où elle prend la responsabilité d’appuyer sur la touche « play », c’est une attardée mentale profondément atteinte, qui sourit béatement à l’objectif en agitant la main, et qui, à chaque mouvement de son marmot, se met à braire en convulsant comme un âne atteint de la maladie de Parkinson tandis qu’un mince filet de bave lui dégouline sur le menton.
Ce dont elle est témoin, ce n’est rien d’autre que la négation même de toute notion d’intelligence et d’évolution de l’espèce, lorsqu’elle se voit en train de bêler « ouhhhhhhh » et « hiiiiiii » à chaque flatulence enfantine.
Ce qu’elle contemple, c’est tout simplement l’illustration de la connerie la plus consternante, quand elle se regarde en train de brailler « kikou » et « braaaaavo » à chaque grognement, chaque geste maladroit exécuté par le chiard en question.
Phlegmon rote bruyamment et régurgite un kilo de carottes écrasées?
« Ouuhhhhhhh! »
Phlegmon envoie un scud de matières fécales sur le carrelage de la salle de bains pendant qu’on lui change sa couche?
« Hiiiiiii ! »
Phlegmon s’écrie, entre deux pets sonores, « blaaatêpurge » tout en se bouffant les pieds dans la position du yogi en pleine méditation transcendantale?
« Braaaaaaavo ! »
Phlegmon glisse un regard indifférent et morne à la caméra, trop occupée à arracher le cartilage des oreilles du vieux matou de la famille?
« Kikou ! »

Le summum de l’horreur a évidemment été atteint lorsque Loutre, qui d’ordinaire daigne pointer le bout de son museau après dix-neuf heures, m’a littéralement poignardée dans le dos en osant regagner ses pénates avant le crépuscule, me trouvant prostrée dans le canapé, accablée, muette face à cette autre moi-même qui se vautrait joyeusement dans la fange la plus affligeante du gâtisme maternel.

Je passe rapidement sur le fou-rire semblable aux jappements pervers d’une hyène psychopathe qui a immédiatement saisi l’immonde créature et l’a envoyée se rouler par terre pendant cinq bonnes minutes, tandis que j’essayais courageusement de lui ouvrir la gorge avec un épluche-légumes émoussé.

Accessoirement, j’ai peut-être trouvé un début d’embryon d’explication au fait que ma fille soit rapidement devenue une étrange petite personne au Q.I de Prix Nobel de littérature, totalement infoutue de nouer des lacets ou de monter sur un vélo mais parfaitement à même d’exprimer des théories assez valables sur le sens de la vie, la profondeur abyssale du concept d’infinitude ou les causes intrinsèques des pulsions violentes chez l’enfant unique.

Catégories : Varices, hémorroïdes et autres joies indescriptibles de la maternité | Étiquettes : , , , | 4 Commentaires

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