La fille qui abusait décidément un peu trop des films de zombies

Parce qu’une blogueuse populaire et adulée ne peut concevoir qu’un évènement aussi considérable que son détartrage de routine ou son frottis annuel ne deviennent pas immédiatement des items cultes de la blogosphère.

Hier, j’étais chez le dentiste.
Oui je sais, dit comme ça, on dirait le début d’un livre d’Albert Camus, mais en vrai, tu vas voir que ça ressemble davantage à du Stephen King.
Quand j’ai pris rendez-vous chez ce dentiste, la semaine dernière, je le connaissais pas. Parce que ma dentiste habituelle, elle était pas là, vu qu’elle part souvent crapahuter dans les hauts plateaux du Pérou et de la Tanzanie pour soigner gratuitement les paysans du Tiers-Monde qui ont du café Max Havelaar mais pas de dentiste. Ma dentiste habituelle, c’est Soeur Emmanuelle qui se serait réincarnée dans le corps de Josée Dayan.
Moi je voulais attendre qu’elle revienne, parce que j’ai un peu peur des blouses blanches (je t’ai déjà parlé du docteur Pilchard, qui m’a opérée des végétations quand j’avais sept ans, et du syndrome de stress post-traumatique que ça m’a causé). Mais Loutre n’a rien voulu savoir, en me disant qu’il fallait que j’assume, que j’avais déjà trop attendu pour faire soigner cette dent et que c’était fatiguant de m’entendre me plaindre à chaque repas.
Donc j’ai appelé un cabinet pas loin de chez moi, que Loutre avait trouvé dans les Pages Jaunes, et j’ai patienté trois minutes au standard sur fond de Chopin (pas La Polonaise, qui donne envie de  sourire aux pigeons et de voter écolo, mais La Marche Funèbre, qui donne envie de se faire implanter des prothèses mammaires contaminées).

Au bout de trois minutes, une personne a décroché, mais je savais pas trop si c’était un monsieur ou une dame, rapport au fait que la voix me faisait penser à celle de Tim Curry dans The Rocky Horror Picture Show.

– Allô! (oui, il y avait un point d’exclamation)
– Bonjour, j’ai dit, je voudrais un rendez-vous à cause de ma dent qui me fait mal.
– Ach! a dit la voix (ça sonnait « hache », comme dans Papa Shultz, et j’ai pas aimé).
– Pardon? j’ai dit
– Mardi. Dix heures.

Pour un peu, je m’attendais à ce qu’elle ajoute « venez seule », mais elle m’a seulement demandé mon nom et mon numéro de téléphone (j’ai failli lui en refiler un faux, parce que j’avais peur qu’elle le communique à un proxénète Batave).

Le mardi (hier, donc), je me suis présentée au cabinet, qui ressemblait à n’importe quel cabinet dentaire, à part les animaux empaillés et les affiches de films (moi je suis très cinéphile et je connaissais tous les films qui avaient leurs posters sur les murs de la salle d’attente, comme Ces garçons qui venaient du Brésil et aussi Les femmes de Stepford, et c’est pour ça que j’ai commencé à avoir très envie de faire pipi). Il n’y avait personne à l’accueil, donc je me suis assise et j’ai attendu en feuilletant des magazines qui étaient posés là (j’ai appris plein de choses intéressantes sur le tannage synthétique des peaux dans La revue du Taxidermiste).
A un moment, une porte s’est ouverte et je me suis retrouvée face à face avec une dame (enfin, je crois) qui ressemblait à Klaus Nomi. Elle avait l’air d’avoir enterré sa mère la veille, et aussi d’avoir congelé son quatrième enfant dans la foulée, c’était un peu impressionnant. Elle a levé son sourcil droit et abaissé le gauche en même temps, je savais pas trop si ça voulait dire « le docteur va vous recevoir tout de suite » ou bien « j’espère que vous êtes vierge car nous faut une vierge à sacrifier à Quetzalcoatl ». Elle n’a rien dit, elle m’a juste montré la porte derrière elle, alors je suis entrée, même si j’en avais pas trop envie.

Le dentiste, il était en train de nettoyer ses instruments et on aurait dit Massimo Gargia, tout brûlé par les UV et trop blond. Il m’a fait un grand sourire et il a dit « Jeanine, mettez la demoiselle à l’aise pendant que je termine de nettoyer (le sang encore frais de notre précédente victime) l’excavateur et le miroir laryngien! »
Jeanine, elle n’a pas souri, elle a juste dit « Bien, docteur » avec cette voix bizarrement monocorde et asexuée, un peu comme celle de la machine qui te demande de patienter quand tu appelles les taxis G7 ou le Pôle Emploi. Moi j’avais pas spécialement envie qu’elle me mette à l’aise, Jeanine, vu qu’à tous les coups, ça devait impliquer des choses avec du cuir et des masques à pointes, alors j’ai dit que non, merci, ça allait bien, mais Jeanine elle a voulu m’enlever ma doudoune, alors j’ai reculé en disant que non, vraiment, pas de problème, le fond de l’air était frais et je préférais garder mon manteau, et le docteur sifflotait un air qui me rappelait la jolie comptine dans Les griffes de la nuit, et Jeanine insistait en tirant sur ma doudoune et en faisant des yeux perçants comme Clint Eastwood, et j’ai encore reculé d’un pas, et le docteur a mis la fraise en route à puissance maximale et il a rigolé en disant « vous verrez, vous ne sentirez presque rien, je vous le garantis », et je me suis dit que Jeanine elle ressemblait en fait beaucoup à Frau Blucher dans Young Frankenstein, et c’est là que j’ai fait demi-tour et que je suis ressortie de la salle de soins en hurlant « touche moi pas, tu me SALIS! » et j’ai trébuché sur la table basse où il y avait les chouettes magazines sur les animaux morts mais je me suis pas arrêtée, j’ai foncé vers la porte et je suis sortie sur le palier. J’ai fait une béquille bien placée à la mamie qui allait monter dans l’ascenseur et je me suis ruée dedans à sa place, et j’ai appuyé trente fois sur le bouton RDC en criant « mais tu vas bouger, enculé! », et pendant tout ce temps j’imaginais Jeanine sur mes talons avec une tronçonneuse allumée.

Quand je suis rentrée à la maison, Loutre était en train de potasser un manuel sur comment on refait un circuit électrique soi-même (c’est pour ça que je veux pas inviter des amis à dormir chez nous, rapport à l’assurance).

– Mmmm…ça s’est bien passé, Lucette? a dit Loutre sans lever les yeux de son bouquin.

C’est là que j’ai un tout petit peu craqué, mais comme je l’ai dit après au monsieur du SAMU, je jure que j’avais pas vraiment l’intention de taper aussi fort avec le tome 24 de l’Encyclopedia Universalis. Ca m’a juste échappé. Rapport au syndrome de stress post-traumatique. En tout cas c’est ce que je dirai au juge.

Catégories : Hypocondrie, névrose d'angoisse et conversion hystérique | Étiquettes : , , , , | 22 Commentaires

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22 réflexions sur “La fille qui abusait décidément un peu trop des films de zombies

  1. « La demoiselle » ??? Bigre, tu as eu raison de te barrer, il était miro ton dentiste !

  2. Tu sais que tu es une grande névrosée ? Mais qu’est-ce que c’est bon !!! J’étais déjà morte à « Venez seule ».
    Par contre, je crois que je te fréquente depuis trop longtemps : j’ai lu « nettoyer ses instruments » avec plein de connotations très variées et pas bien jolies…

  3. En vrai t’es qu’une flipette, donc…

  4. A toute fin futile

    Ca ne fait que qqes jours que je traine par ici mais qu’est-ce que je me marre !
    Mais là, quand même, c’est JUSTE pas POSSIBLE que ce soit vrai ?!
    Non parce que moi je suis une flippée, j’ai déjà rêvé que je me barrais comme ça … mais jamais mes petites fesses n’ont suivi mes pensées !

    • C’est à peine romancé. Un jour je mettrai un panneau sur mon blog: « billets inspirés de faits réels, toute ressemblance avec des personnes ayant existé n’est pas tout à fait fortuite ».

  5. Un passant

    Effectivement, t’as bien fait de te barrer, les dentistes font partie du plan de Belzébuth, il règne dans le cabinet de chacun une ambiance psychédélique inspirée d’outre-espace…
    Nenni d’affiches de film chez mon ophtalmo, il est plutôt orienté déco égyptienne façon Moyen-Empire, avec statuettes de chacal made in China et photos de fresques avec une meuf bonnet B à tête de matou (« Bastet », disent les archéologues qui veulent se la péter) et effectivement vu tout ce qu’il me fout dans l’œil juste pour me dire que « ma vue a pas baissé », j’ai l’impression d’avoir contemplé l’œil droit d’Horus pendant trois plombes.

    Ok c’est pas « les griffes de la Nuit », mais les insectes dans la bouche d’Imhotep dans « la Momie », ça te traumatise un enfant.

  6. désolée mais… MORTE DE RIRE! … pardon… 🙂

    • Pas de problème, la prochaine fois je ferai un billet sur ma cystographie rétrograde et comment la sonde est malencontreusement remontée jusqu’à mon pharynx, on s’en paiera une tranche.

  7. Mais du coup …. t’as toujours mal aux dents ?
    Je suis d’accod, le cabinet du dentiste est un endroit hyper stressant, rien que de m’allonger dans le fauteuil en skai, j’ai déjà peur, et même quand ils sont jeunes et sympa, ils ont l’air trop poli pour être honnête.
    Des tortionnaires …

    • Je crois que c’est à la tristement célèbre Ecole Navale de Buenos Aires qu’ils utilisaient du matériel dentaire contre les opposants politiques.
      Tout s’explique.

  8. Ahahah je viens de découvrir ton blog et qu ‘est ce que j’ai ri !!!!! Merci merci merci !!

    PS : nous avons les zombies en commun je vois … 😉 (même si sur mon blog il faut tout de même remonter à quelques articles pour en retrouver 😉 )

  9. Didonc je me demandais: Josée Dayan c’est bien la soeur de Moshe?

    Bon sinon j’ai lolé bouche grande ouverte par que moi: JE PEUX!

    gniiiiiiiarkmouahahah [rire fou]

  10. Qu’est-ce que c’était? Je ne comprennent pas vraiment ce qu’il veut dire?

  11. Dracula

    Note culturelle à vague relent biographique : ma dentiste d’il y a quelques années, qui m’a doté d’un sourire ravageur, m’a dit
    « dans les temps anciens « dentiste » se disait « arracheur de dent »  »

    je ne sais pas dans quelle mesure ça peut aider pour les traumatismes, mais, moi ça m’a rassuré cet aveu.
    Au fond ils sont comme nous, ils racontent des histoires.

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